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#26 - D'Israël à la Cote d'Ivoire

Cher ami,


La dernière fois que tu as eu de nos nouvelles nous prenions part à la récolte des dattes en Israël. Aujourd’hui nous vous écrivons depuis Abidjan, en Côte d’Ivoire, où nous sommes arrivés sans encombres il y a trois jours. Que s’est-il passé entre temps pour nous ?

Après un mois à récolter et trier des dattes en Israël avec Eyal et Ran, deux fermiers qui nous ont marqué par leur intelligence et leur bonne humeur permanente, nous avons mis le cap vers Latroun, grand monastère trappiste situé au centre d’Israël.

L'entrée du monastère

Historiquement, le développement et l’amélioration des techniques agricoles en Occident doivent, à partir du Moyen-âge, beaucoup à des réseaux d’abbayes – principalement clunisiens et cisterciens. Les moines y travaillant d’immenses superficies agricoles ont joué un rôle de premier plan dans l’élaboration de techniques céréalières et viticoles, ainsi que dans la sélection des espèces animales.

C’est donc pour en savoir plus sur les origines de l’agriculture moderne que nous voulions travailler dans une abbaye et partager le quotidien des moines y habitant.

Ici la messe est dite dans un mélange de français, d'arabe et d'hébreux

Nous ne voulons rien te cacher et nous devons avouer que l’arrivée dans ce monastère a été pour nous un gros choc ! Nous venions d’une communauté israélienne, petite mais bien vivante, où nous travaillions dans une bonne humeur communicative, et nous voilà dans une immense et froide abbaye où vivent une dizaine de moines cisterciens selon la règle dite de la « stricte observance ». Ce qui veut dire dans le dénuement et surtout le silence le plus total entre eux.

Le magnifique édifice

Un vieux moine argentin nous fait visiter les lieux à son rythme, et nous ouvre les chambres où nous dormirons pendant notre séjour ici. Au moins nous avons une chambre et même une douche chacun, ce qui n’est pas arrivé souvent de mémoire de Travelling Farmers. Notre premier réflexe une fois seuls tous les deux est de rire un bon coup : nous avons beau être habitués aux changements de vie après neuf mois d’itinérance, ce nouveau quotidien nous prend un peu à contrepied. Heureusement, Nasser, un arabe chrétien de nationalité israélienne (tu suis ?) qui s’occupe des lieux nous explique plus en détail la vie au monastère, avec un sourire qui réchauffe notre arrivée.

Les moines n’étant plus assez nombreux pour s’occuper des cinq cent hectares de terres où poussent des vignes et des oliviers centenaires, ce sont des ouvriers agricoles palestiniens qui travaillent dans les champs. Et c’est donc avec eux que nous nous attelons dès le lendemain à la récolte des olives.

Nous aurons souvent eu du mal à parler avec nos collègues des champs au cours de ce voyage, notamment en Mongolie, mais nous passons ici un nouveau cap en travaillant avec un homme sourd-muet, dont nous ne savons toujours pas le prénom. Fort de notre expérience mongole, nous arrivons néanmoins rapidement à communiquer tant bien que mal : « tu t’occupes de cet arbre, et moi de celui-là ».

Petite pause à l'ombre

Jamais travail n’aura été si apaisant. Nous commençons par étendre de grandes bâches en plastic sous les oliviers. Ensuite et des heures durant, nous « peignons » les branches des oliviers avec de petits râteaux afin d’en faire tomber les fruits. Pas de stress ici : les ouvriers sont pointilleux et aucune olive n’échappe à leur regard exercé par des années de pratique. Chaque arbre donne autour de deux-cent kilos d’olive qui donneront une cinquantaine de litres d’huile d’olive, pressée au sein même du monastère.

Jules ne laissera pas une seule olive sur cet arbre

Les bâches pleines sont ensuite vidées dans de grosses caisses

Les travailleurs et le travail accompli

Les meilleures olives du monde !

Après le travail, nous écrivions les nombreuses lettres que nous avons depuis envoyé, comme depuis chaque pays, à tous ceux qui nous ont soutenus pendant la préparation de notre grand voyage.

Ce n’est qu’après trois jours que nous rencontrons véritablement les moines qui vivent et prient dans ces murs. Frère Louis d’abord, puits de savoir d’origine libanaise qui nous explique le choix de vie radical qu’il a fait. Frère Paul ensuite, ancien supérieur de l’abbaye qui y habite depuis 70 ans et qui a connu les temps où le monastère était en territoire jordanien avant qu’Israël n’étende son territoire à l’est. Frère Noël (nous décidons rapidement de l’appeler Père Noël) et frère Christian-Marie ensuite, qui nous frappent par une joie intérieure que l’on trouve rarement dans le monde. C’est intéressant d’entendre des hommes vivant reclus nous expliquer que nulle part ailleurs ils ne se sentent aussi libres; que les moyens offerts à l’homme par la modernité pour lui permettre de vivre plus confortablement limitent aussi sa liberté en le distrayant de son questionnement intérieur, seule vraie richesse. Nos interrogations personnelles qui fleurissent au cours de ce voyage trouvent ici de beaux exemples de vie.

Frère Paul, 70 ans de vie au monastère, ouvre la marche.

En discutant avec eux, nous découvrons l’ampleur de leur rôle dans la région. Ayant fait vœux de pauvreté, ils reversent l’ensemble des (gros) bénéfices qu’ils réalisent - en vendant leur vin et leur huile - aux communautés arabes pauvres des environs, payant les études ou les soins médicaux des plus démunis. Sans jamais faire de bruit ni attirer l’attention, ces hommes de Dieu oeuvrent au quotidien et par le bas à soulager le sort des plus pauvres. Le seul reproche qu’ils nous font est de ne pas être venu plus tôt ou de ne pas rester plus longtemps, car nous aurions pu travailler aux vendanges pendant lesquels ils font travailler plus de cent ouvriers tous les jours. Si tu vas en Israël un jour et que tu veux voir la paix silencieusement au travail derrières les bruyants sursauts de l’actualité, va séjourner quelques jours à l’abbaye de Latroun !

Jules dans les vignes fraîchement vendangées

Les moines sont non seulement silencieux mais également végétariens afin de se consacrer à Dieu sans rien sacrifier au monde des hommes. Cependant, notre nouveau régime alimentaire ne tient pas la comparaison avec les légumes frais et les délicieux mets israéliens dont nous nous nourrissions dans notre moshav. Simultanément, nous ressentons une perte d’énergie consécutive à ce changement de régime.

Nous nous rendons ainsi compte à quel point notre rapport à l’alimentation a évolué depuis le début de notre périple, et ce en grande partie depuis notre premier mois de voyage en Uruguay. Fred et Uta, dans leur superbe exploitation d’Isla Verde, ont en effet été les premiers à nous faire prendre conscience de l’importance de la nutrition pour notre corps, en insistant particulièrement sur la nécessité de manger des fruits et des légumes « en vie » c’est à dire fraichement cueillis, et non cuits pendant des heures. Nous nous remémorons notre surprise face à leur refus de toucher à la ratatouille que nous avions préparé avec amour. « C’est mort, c’est trop cuit, vous avez retiré toute l’énergie des courgettes et des tomates » nous expliquaient-ils face à notre hébétude. Désormais, nous les comprenons (un peu).

Heureusement, nous reprenons des forces grâce aux dattes emportées jalousement des champs où nous travaillons précédemment.

Après une semaine, nous devons malheureusement partir pour Tel Aviv, où nous prenons l’avion pour Abidjan. Habitué des longues escales dans les halls d’aéroport, nous sommes bien surpris en apprenant que la compagnie nous offre l’hôtel pendant notre attente au Caire entre deux correspondances. Dès que nous en avons repéré l’emplacement, le magnifique buffet de l’hôtel en fait les frais. Imagine toi deux hommes des cavernes dans un restaurant étoilé – oui j’exagère un peu – et tu auras une vision de la scène.

Arrivés à Abidjan, après quelques soucis de visa rapidement réglés, nous sommes accueillis par Christiane, la mère de l’oncle de Jules. Arrivée de France en 1958 en Côte d’Ivoire, Christiane n’a jamais quitté le pays, même dans les périodes de crise, et peut nous raconter en détails toutes les péripéties des dernières décennies en Côte d’Ivoire. Elle nous conduit chez elle, qui sera notre camp de base pour finir d’organiser notre séjour ici. Comme nous te l’avions dit, les élections approchant, tous ceux à qui nous parlons nous déconseillent d’être à la campagne les jours de scrutin au cas où la situation s’envenimerait. Nous décidons donc de partir pour le Ghana, où nous avons trouvé une plantation de cacao où travailler avec des planteurs locaux. Nous prenons le bus demain aux aurores pour Accra, et devrions commencer à travailler mercredi matin.

Il n’est donc pas sûr que nous pourrons te donner des nouvelles dans les semaines à venir, cela dépendra de facteurs que nous ne contrôlons pas.

Nous vous tiendrons cependant au courant de la suite de nos aventures dès que possible et nous te souhaitons entre-temps de bonnes vacances de la Toussaint,

Merci de nous avoir lu, et à très bientôt

Travelling Farmers

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