# 23 - Apprentis éleveurs de yaks dans les montagnes du Khangaï
Les Travelling Farmers couleur locale
De retour à Oulan Bator après notre incroyable immersion dans la famille de Jamar et Ayona, nous commençons par prendre une bonne douche – la première en deux semaines, et la dernière avant notre retour à UB, quinze jours plus tard. La ville ne nous attirant pas plus que lors de notre premier passage, nous n’y faisons qu’accueillir Simon, le grand-frère de Jules qui vient partager l’aventure Travelling Farmers avec nous, et nous prenons le bus pour Tsetserleg, petite capitale décrépite de l’Arkhanghai, province centrale de la Mongolie.
Encore une fois, les paysages immenses, monotones et parfois effrayants quand la météo se déchaîne défilent sous nos yeux. La pluie s’abat de plus en plus fort sur notre bus, qui suit la seule route que l’on voit à l’horizon, ligne infinie qui ne tournera que trois fois tout au long des 500 kilomètres du trajet. Un joyeux groupe de six Israéliens monte sous la pluie battante, le stop ne leur ayant pas été favorable sous un tel déluge. Les voyant s’asseoir péniblement dans l’allée du bus, nous engageons la conversation et partageons nos maigres provisions avec eux. A la descente du car, leur objectif de dormir sous la tente cède face aux trombes d’eau qui tombent dans la nuit noire, et nous nous arrangeons pour les loger chez la personne qui nous héberge – traductrice de l’Association des Eleveurs de Yaks des montagnes du Khangaï avec laquelle nous travaillons.
Ariel, le cuisinier du groupe, nous remercie en nous cuisinant un curry divin, et ce dîner improvisé, partagé à dix sous un toit qui n’arrête que relativement l’eau qui continue de tomber, est le meilleur que nous avons mangé depuis notre départ. Toute cette petite communauté improbable et heureuse s’endort tard, et nous décidons de partager une voiture le lendemain car nous allons tous dans la même direction. Après quelques tractations avec le chauffeur qui hésite à prendre neuf personnes et neuf gros sacs à dos dans sa voiture cinq places pour un trajet de sept heures, nous nous entassons finalement.
Jusqu'au bout du monde !
La joyeuse équipe
En sept heures de route nous parcourons un total de 250 kilomètres. Tes calculs habiles et exactes ne te trompent pas : c’est à une moyenne proche des 35 km/h que nous roulons. Et pour cause : la plupart du trajet ne se fait pas sur une route goudronnée bien sûr, ni sur un classique chemin de terre mais bien en plein milieu de la steppe mongole. Pendant près de 4 heures nous roulons dans ce désert vert. Parfois, nous apercevons au loin un troupeau ou une geer, et c’est tout. Emerveillés par l’immensité qui s’étale sous nos yeux nous comprenons que nous allons vivre une expérience comme jamais nous n’en avons connue, seuls dans un des endroits les plus isolés du monde.
Nous arrivons une fois la nuit tombée chez la famille qui nous accueille à bras ouverts … tous les quatre et non tous les trois puisque qu’Aviad, un des membres de la joyeuse bande a décidé de se joindre à nous.
La petite dizaine de geer de cette nouvelle famille est plantée au bord d’une rivière serpentant dans une vallée encastrée entre de hautes des montagnes.
Au milieu coule une rivière
Celles-ci paraissent sympathiques et presque rassurantes lorsque nous arrivons, et c’est sans grande difficulté que nous parvenons à grimper au sommet de la montagne la plus proche, le lendemain de notre arrivée.
Aviad, le prophète sur la montagne
La température est agréable et nous nous réjouissons du climat favorable de l’été mongol. Mais le lendemain, à notre grande surprise, une tempête s’abat sur notre petite communauté. Les 35°C que nous avons supportés les deux premières semaines laissent place à des températures négatives accompagnées d’un vent mordant. La neige envahie la steppe et les montagnes deviennent menaçantes.
Un réveil glacial
Heureusement que le poêle fonctionne !
Les sommets n'ont plus la même allure
N’ayant pas internet nous ne comprendrons qu’au retour à Oulan Bator que notre nouveau séjour se situe à 2300 mètres d’altitude et que les montagnes avoisinantes dépassent les 3 000 mètres.
Mais il en faut plus pour effrayer deux Travelling Farmers qui commencent après sept mois de pérégrinations à s’habituer à une vie rude en plein air. Pendant 3 longues journées, nous vivons reclus dans la geer que nous partageons tous les 4, regroupés autour de notre poêle, élément plus que capital pour notre survie.
Isolé entre ces montagnes immenses, le temps s’écoule différemment, et une compétition féroce de Tarot s’engage entre nous. A huit-clos dans une quinzaine de mètres carrés, il nous faut tous faire preuve de bienveillance et patience pour faire de cette vie en communauté un moment appréciable.
Et l’agriculture dans tout ça, t’entendons-nous te demander à 7 000 kilomètres de là !
Cette famille qui nous accueille élève des yaks, proches cousins de nos placides vaches, en plus gros et plus velu, taillés pour résister aux attaques de loups et aux -50° qu’il fait parfois en hiver dans les montagnes du Khanghai.
Jules copie les yaks et se protège les yeux du froid
Comme nous l’avions expliqué précédemment, traire les animaux demande une main d’œuvre importante. S’il était possible à Simon avec qui nous travaillions en Nouvelle-Zélande de traire seul ses 250 vaches grâce à sa station de traite automatisée, une quinzaine de personnes vivent et travaillent autour du troupeau d’environ 150 yaks. Peut-être est-ce lié, mais la famille en Mongolie n’est pas d’abord nucléaire comme en France, mais rassemble plusieurs générations et plusieurs couples avec enfants.
Jules, maintenant fin connaisseur des bovins observe ce beau troupeau de yak
Deux fois par jour, matin et soir, la traite des yaks prend une heure et demie. Il s’agit d’abord de conduire le troupeau des mères vers les petits. Après avoir fait téter les veaux une minute, on les écarte de leur mère dont les jambes ont été préalablement entravées, que l’on commence à traire. Les yaks sont aussi prisés pour leurs longs poils, avec lequel on fabrique le cashmere de yak, qui se développe dans le prêt à porter. Il suffit de côtoyer quelques minutes ces bêtes impressionnantes pour comprendre qu’un vêtement d’une telle matière vaut tous les manteaux techniques du monde.
La traite matinale du troupeau
Simon aide à la préparation du fromage de yak
Il est surprenant de constater que, même chez ce peuple éloigné de tout, un début de modernisation se laisse percevoir. En plus des superbes chants traditionnels mongols, on entend régulièrement les femmes de la famille fredonner un air de Britney Spears ou de Lady Gaga. Le déplacement des yaks d’un endroit à un autre se fait souvent à dos de cheval, mais il leur est parfois plus simple d’enfourcher une de leurs motos pour y procéder. Et dans les moments creux de la journée, là où Jamar et Ayona s’asseyaient des heures durant pour contempler l’horizon, certains de nos hôtes se précipitent derrière une télévision récemment acquise.
Cette tendance reste toutefois à relativiser. Ne disposant pour toilettes que d’un trou creusé dans la steppe et pour eau à boire que celle de la rivière pourpre que nous partageons avec yaks et brebis, le sentiment de dépaysement en reste on ne peut plus intense. Le renouvellement en bois se fait lui par de longues expéditions dans les montagnes et au moyen d’une charrue en bois tractée péniblement par un des Yaks les plus massifs du troupeau.
Opération filtrage de l'eau de la rivière
Le yak est revenu, il y aura du bois ce soir
Encore une fois, l’alimentation se compose presque exclusivement de viande et de lait. Un tel apport de protéine explique les carrures impressionnantes des Mongols que nous croisons, et qui, malgré l’imposant physique des Travelling Farmers, sont parfois même plus grands et plus lourds qu’eux.
Entre les traites, nous grimpons dans les montagnes pour cueillir des jims – sortes de groseilles sauvages qui seront consommées crues avec un peu de sucre. Etrangement nous ne mangeons pas de viande de yak, mais du mouton, de la chèvre et des marmottes que les hommes de la famille vont chasser dans les hauteurs avoisinantes presque quotidiennement. Le foie de marmotte aux oignons servi au petit-déjeuner restera d’ailleurs dans nos mémoires.
Après une demie journée de cueillette de jims dans les montagnes
Jules s'exerce sur un fusil "made in USSR"
La chasse est une nécessité si loin de la ville et de ses magasins
Au menu du déjeuner: marmotte !
Quand le ciel se dégage, Tristan part pêcher dans un beau lac de montagne situé à deux kilomètres de l’autre côté de la vallée. Habitué à une pêche « détente » (lire « bredouille »), c’est avec une surprise non feinte qu’il sort deux belles perches d’une trentaine de centimètres de long, qui, assaisonnées de sel et accompagnées d’un oignon, amélioreront le quotidien.
Dernière étape: préparer le poisson !
Notre départ est bien entendu difficile. Une telle proximité rend les rapprochements rapides et nous sommes peinés de quitter notre nouvelle famille mongole. Bien que notre avis ne soit pas partagé par tous les touristes que nous croisons par la suite, le peuple mongol nous est apparu comme l’un des plus accueillants et des plus souriants que nous ayons rencontrés depuis le début de notre périple.
Il nous faut pourtant rebrousser chemin. De retour chez la traductrice qui nous avait auparavant hébergés, nous sommes amusés du sentiment que nous partageons tous : celui d’être de retour « à la maison ». Tsetserleg n’est pourtant pas une grande ville et se situe tout de même à 500 kilomètres de la capitale mongole, mais le brin de civilisation qu’on y trouve contraste tout de même brusquement avec l’endroit d’où nous venons.
Le beau temps est revenu mais il est déjà l'heure de partir
Nous rentrons le lendemain à Oulan Bator et faisons nos adieux à Simon et Aviad. Les Travelling Farmers se retrouvent de nouveau à deux, et peuvent se tourner désormais vers de nouvelles aventures.
C’est depuis l’Israël, où nous passerons un mois et demi, que nous écrirons la suite de nos péripéties.
D’ici là nous te souhaitons une belle fin d’été,
A bientôt pour de nouvelles aventures !
P.S : Pour les curieux, c’est Jules qui sortira grand vainqueur de notre compétition de Tarot, malgré la concurrence terrible de ses partenaires de jeu. Bravo à lui !