#19 - Deux fermiers en Nouvelle-Zélande
Nos deux premières semaines en Nouvelle-Zélande se sont déroulées comme nous en avions rêvé : nous sommes restés sédentaires et avons vécu au rythme de la ferme de Ian et Marcia, partageant ainsi quotidiennement la vie d’une famille typiquement néo-zélandaise. Vendredi, nous avons toutefois quitté cette ferme pour en rejoindre une nouvelle: nous vivons désormais aux côtés de Liz et Simon dans une exploitation laitière de plus de 250 vaches. De nouvelles aventures se profilent, mais nous te devons, après une semaine d’absence, de revenir sur cette première expérience originale et bien différente de tout ce que nous avons vécu jusque-là.
Tristan avec ses nouvelles amies
Travailler au contact d’un personnage comme Ian nous a énormément appris, et pas exactement ce à quoi nous nous attendions. Ian est une personne que l’on s’attendrait en général à trouver dans un roman du 19ème siècle plutôt que dans la vraie vie. A plus de 60 ans, il continue de déployer une énergie impressionnante dans ses tâches quotidiennes, et abat à lui seul un travail qu’il nous serait difficile d’égaler avec nos quatre bras. Ce qu’il pense, il le dit, sans passer par quatre chemins. Le tact et la nuance ne font pas partie de son vocabulaire, et c’est ce qui fait la beauté du personnage. Loin de se cacher derrière un masque, il est la personne la plus authentique que nous ayons rencontrée, ce qui rend sa compagnie passionnante en même temps qu’exigeante.
Les champs en pente, et la ferme en contrebas
Après avoir quitté l’école très jeune, il s’est tout de suite consacré à la seule activité qui l’a toujours intéressée : se servir de ses mains pour construire. Ayant appris à construire des cabanes, il a vite décidé en savoir assez pour s’attaquer à des maisons. Aujourd’hui, il possède 5 maisons qu’il a soit construites, soit intégralement retravaillées. Il en loue 4 et vit dans la dernière. Pourtant, impossible pour lui de vivre en « rentier » et de changer ses habitudes. Une dépense superflue reste superflue quand l’argent n’est pas un problème, et jamais il ne dépenserait un centime pour quelque chose qu’il est encore en mesure de faire par lui-même. « Je n’ai pas confiance dans ces gens que l’on paye pour venir faire réparer ses instruments », nous confia-t-il en réparant lui-même sa pelleteuse de plusieurs tonnes, « je préfère le faire moi-même ». C’est un bel exemple, pour nous qui constatons souvent la place démesurée de la consommation dans la vie de certains (« C’est cassé ? Rachetons en un »), de voir le style de vie de Ian. Les besoins qu’il avait avant n’ont pas changé à ses yeux, et ce n’est pas parce qu’il peut s’offrir plus qu’il consomme plus. Fidèle à lui-même, il vit en quelques sortes en-dessous de ses moyens, ce qui ne peut que susciter notre admiration.
Jamais donc, nous n’aurons autant appris à travailler de nos mains qu’ici. Et c’était un de nos objectifs en partant : quitter la vie de bureau, confortable mais routinière et tracée pour une vie en plein air, plus rude, plus fatigante, mais plus concrète. Ian – contrairement à ce qu’on a pu connaître en travaillant dans de grandes entreprises – ne passe pas sa semaine à attendre le week-end ou les prochaines vacances. Il aime ce qu’il fait au quotidien et ne ressent donc pas le besoin de stopper toute activité samedi et dimanche. C’est donc logiquement que, comme l’immense majorité des fermiers, nous avons travaillé sept jours sur sept ici. Enfin sauf quand il pleuvait vraiment trop et que nous n’avions plus pied dans nos bottes. Là on était forcé de ralentir la cadence, au plus grand désarroi de Ian - « Shit, shit, shit, fucking weather ! Shit, shit, shit, We’ve got some work to do ! Shit, shit, shit.» (sic). Bien obligé de prendre la météo en compte, nous avons aimé vivre au rythme de la nature. Même si nous ne faisions pas les fiers chaque matin en commençant à travailler à l’aube dans le froid de l’hiver néo-zélandais, la tasse de thé et les rayons de soleil de 10h n’en avaient que plus de prix !
Manoeuvrant pour la première fois une pelleteuse, nous avons déplacé d’immenses troncs d’arbres abattus par des tempêtes hivernales, avant de les débiter à la tronçonneuse puis de les fendre à la hache afin de chauffer la maison. Une visseuse à la main, un marteau dans l’autre, nous avons continué à réparer des kilomètres de clôtures séparant les différents champs sur lesquelles vivent les bêtes. Perché sur nos échelles, nous avons repeint l’étable où le foin est stocké. Enfin, et surtout, nous avons intégralement démonté et reconstruit la terrasse de la maison.
Avant ...
... Après !
Et toi, tu saurais construire une terasse?
Encore quelquechose d'appris aujourd'hui: conduire une pelleteuse.
Comme tu t’en rends compte, et comme nous l’avions déjà évoqué, ces tâches ne sont pas celles que l’on préconçoit lorsque l’on imagine la vie d’un fermier. Contrairement à ce que l’on imagine en vivant loin des campagnes, le fermier ne passe pas le plus clair de son temps au contact de ses animaux. Ici, nous avons en effet été heureux de manger de la viande provenant de notre exploitation tous les jours, mais surpris de voir en quoi consistait réellement le quotidien de beaucoup de petits fermiers locaux.
Ian et Marcia possèdent vaches et moutons, comme nous t’en avions parlé dans l’article précédent. Pourtant, en deux semaines sur leur terrain, nous ne nous sommes pas approchées à moins de cinq mètres d’une de leurs bêtes. Alors que Kim et Daryll, chez qui nous vivions en Oregon, connaissaient chacun de leurs animaux par son propre nom, c’est à peine si Ian et Marcia connaissent le nombre de bêtes qu’ils possèdent.
Quel est leur but alors ? A quoi se consacrent ces fermiers si ce n’est à s’occuper de leur troupeau ? L’objectif quotidien est simple : entretenir les champs sur lesquels se nourrissent vaches et moutons. Hormis cela il s’agit, semblables à de fiers cow-boys modernes chevauchant des quads de fabrication japonaise, de déplacer les animaux d’un champ à l’autre et d’attendre qu’ils grossissent pour être abattus et consommés.
Une pratique locale nous a surpris ici : la forte demande des familles néo-zélandaises pour une viande « home-killed ». De plus en plus de gens préfèrent court-circuiter les circuits traditionnels de distribution de la viande et achètent par exemple directement à l’éleveur une demie vache, qu’ils vont congeler et qui suffira à alimenter en viande une famille (très) nombreuse pendant un an. Peu avant notre arrivée, Ian a fait venir un professionnel sur leur ferme, qui abat et dépèce quelques vaches sur place. Ceux qui achètent cette viande « home-killed » recherchent à la fois à savoir ce qu’ils mangent, et précisent souvent qu’une bête abattue sans être en état de stress donne de la meilleure viande. En discutant avec les différents fermiers que nous côtoyons et qui nous expliquent tous que la viande que l’on trouve dans les fast foods vient de vieilles vaches laitières abattues car plus assez productives après plusieurs années dans de grandes exploitations, on comprend mieux l’engouement pour une viande de qualité !
Malgré cette description du caractère bien trempé de Ian, il ne faut pas s’imaginer que la vie a été austère au contact de nos hôtes ces deux dernières semaines. Au contraire, ils se sont efforcés de nous faire participer à leurs loisirs autant que possible, et nous ont permis de rencontrer un panel très différent de Kiwis en nous présentant leurs amis et leur famille.
Difficile de ne pas mentionner, d’abord, un phénomène impressionnant : la place du sport dans la culture locale. Presque toutes les personnes que nous avons croisées ne se sont pas embarrassées de questions personnelles, préférant commencer par l’essentiel : « Vous aimez le rugby ? » Ce sport reste encore largement prédominant en Nouvelle-Zélande, mais, comme nous te l’avions dit, notre famille concentre toute son attention sur une autre forme de rugby qui s’attache de plus en plus de fans : le Rugby League (ou Rugby à 13). L’expérience qui nous a été offerte d’assister au match des Warriors s’est avérée on ne peut plus formidable. Au cours d’une victoire épique (24-20), nous avons pu assister à la passion avec laquelle les locaux supportent leur équipe, contre les rivaux Australiens.
Mais la vraie passion de Ian est tout autre : la pêche. En raison de conditions météorologiques incertaines, nous n’avons pu passer 2 jours en mer sur son bateau comme prévu initialement. Mais Ian nous a emmené pêcher des petits poissons qui lui serviraient d’appâts lors de sa prochaine sortie. Dans un superbe décor, nous l’avons donc aidé à déployer son filet et à en sortir une cinquantaine de prises. Efficace comme à son habitude, nous n’avons passé que trente minutes les pieds dans l’eau et avons fini avec plus d’une centaine de petits mulets. Pour une raison que nous ignorons – certains avancent un trou dans la couche d’ozone - la lumière en Nouvelle-Zélande est particulièrement belle, et pêcher au filet alors que le soleil sortait parfois des nuages était vraiment magnifique !
Jules et Ian à la pêche aux mullets
Le week-end dernier, nous avons fait connaissance avec le fils de Marcia et sa fiancée Morgan, venus « bruncher » à la maison. Amusés par nos récits, Morgan nous a proposé de nous emmener passer le week-end dans la maison de vacances de ses parents (appelée « bach » par les locaux) près de la pointe Nord de l’île. Heureux de côtoyer ainsi des jeunes Kiwis, nous avons bien évidemment suivi la vie là où elle nous emmenait.
Et nous avons bien fait ! Le paysage qui s’est offert à nous valait bien un peu de route. La Nouvelle-Zélande présente l’avantage de permettre à quiconque de se rendre à la plage en moins de 45 minutes depuis n’importe quel point du pays, et c’est une de ses plus belles plages que nous avons découvertes.
Un peu plus chaud et on se baignait !
Comme on te le disait en début d’article, une nouvelle aventure démarre pour nous. Nous sommes arrivés avant-hier dans la ferme de Simon et Liz, trente ans tous les deux, qui élèvent 250 vaches laitières. Et dès notre arrivée le programme est clair : on a une semaine pour tout apprendre car ils partent pour deux jours le week-end prochain et ils veulent que nous nous occupions de la ferme et des vaches en leur absence. Beau défi qu’on s’apprête à relever avec grand plaisir! Mais ça, c’est pour la semaine prochaine...
A dimanche prochain.