#16 - L'Odyssée d'Homer
Le vieil homme et la mer
Après de nombreuses aventures, nous sommes enfin arrivés à Homer, port de pêche à 500km au sud d’Anchorage. C’est ici que nous avons posés nos sacs à dos pour deux semaines, afin d’en apprendre plus sur le poisson (d’Alaska) qui arrive dans nos assiettes. Après trois semaines d’intenses aventures, nous avons enfin l’occasion de redevenir sédentaires et de nous concentrer de nouveau sur l’essence de notre projet.
A l’origine de l’idée Travelling Farmers, l’objectif était pour nous de partager le quotidien de ceux qui produisent la nourriture que nous consommons. Après avoir découvert les métiers de la ferme et de l’élevage en Uruguay, au Mexique puis aux Etat-Unis, l’étape Alaska visait à compléter cette vision avec l’étude du poisson, en côtoyant et travaillant avec des pêcheurs.
Tristan pêche des petites limandes à côté des docks
Cette étape est très différente des autres pour nous. Pas d’agriculture ici : comme nous l’avons vite compris, l’Alaska fonctionne … différemment.
Ici, la région est tellement sauvage que ses habitants n’ont pas besoin d’élever, ils prélèvent. A quoi sert d’élever du bétail si l’on croise des élans tous les jours, même en ville, dont la chasse est autorisée ? Le poisson est abondant à l’état sauvage – pourquoi l’élever en captivité ? Et pour ce qui est des fruits et légumes, chaque foyer reçoit gratuitement de l’Etat fédéral une immense serre à installer dans son jardin, ce qui fait qu’un grand nombre de locaux cultivent leur propre nourriture. Ce mouvement, appelé « Alaska Grown », vise à réduire la dépendance de la région en fruits et légumes. Pas de fermes au sens classique donc : la nature est suffisamment abondante pour nourrir le peu d’hommes qui y vivent, et le climat est tellement rude qu’une exploitation ne pourrait opérer que trois mois par an.
Quand on te dit qu'il y a des élans en ville !
Autre fait intéressant : les plus gros légumes de la planète ne viennent pas de régions tropicales … mais d’Alaska ! En effet, l’ensoleillement en été atteignant 24 heures par jour, les plantations croissent à une vitesse impressionnante car la photosynthèse ne s’arrête jamais. Concrètement, cela veut aussi dire que les pelouses doivent être tondues tous les quatre jours en été: elles poussent de 20 centimètres par semaine…
23h et toujours du soleil !
Après avoir fait leur rencontre sur les docks, nous logeons actuellement chez Gary et Barbara, qui possèdent une société de pêche à Homer. Gary, qui a longtemps été capitaine de navire de pêche nous a permis de découvrir beaucoup d’aspects de la pêche en Alaska.
Deux espèces sont majoritairement pêchées dans les environs d’Homer : le saumon et le flétan, grand poisson plat à la chaire délicieuse.
Un matelot décharge une cale remplie de flétans
Commençons par le saumon ! Il se pêche seulement trois mois par an, en été. En effet, d’immenses bans de saumons adultes se rassemblent à cette époque-là avant de remonter les rivières où ils sont nés afin de s’y reproduire.
Profitant de cette aubaine, les pêcheurs travaillent sans arrêt, sur de petits bateaux d’une dizaine de mètres, pendant ces trois mois. Pêchés au filet principalement, les saumons sont ensuite rapportés à terre par d’autres bateaux (les tenders) qui viennent en mer les réapprovisionner en fuel afin que les pêcheurs ne perdent pas de temps à rentrer au port ! En moins de cent jours, un bateau de taille moyenne avec trois hommes à bord peut pêcher jusqu’à 500 tonnes de saumon ! Contrairement à la France, où le saumon est un plat de luxe, le saumon est donc consommé quotidiennement en Alaska. Pas malheureux, les Travelling Farmers en mangent donc tous les jours.
Autre nouveauté pour nous : il existe plusieurs sortes de saumon, et toutes ne se valent pas ! La France n’ayant pas la culture de ce poisson, nous assimilons les différentes variétés de saumon sous un seul nom, ce que ne font pas les locaux ici. Le saumon royal, qui peut atteindre 60 kilos vaut par exemple cinq fois plus cher au kilo que le saumon rose.
Le port de pêche d'Homer
Ensuite, Homer est considérée comme la capitale mondiale de la pêche au flétan.
Poisson plat, ressemblant à une grosse limande, le flétan possède deux yeux situés du même côté de la tête. Etalée sur cinq mois, cette pêche se pratique l’été à l’aide d’immenses lignes hameçonnées : les palangres. Moins rude que la pêche au saumon, les bateaux partent en mer pour trois jours seulement et reviennent les cales chargées de centaines de poissons d’un mètre de long en moyenne. Une fois hissés sur les docks, les poissons sont découpés en filet sur place puis expédiés vers les « Lower 48 » (les « vrais » Etats-Unis) par camion en 72 heures !
Pesés et filetés sur les docks, il est frais leur poisson!
Nous avons également fait la connaissance d’un bateau très connu aux Etats-Unis et de son équipage : le Time Bandit. Pour les connaisseurs, ce bateau de pêche au crabe est une des stars de l’émission « The Deadliest Catch » diffusée sur Discovery Channel dans plus de cent-cinquante pays.
La saison de la pêche au crabe se déroule dans la mer de Béring en hiver, ce qui en fait l’une des pêches les plus dangereuse du monde : par des creux de dix mètres, les pêcheurs jettent puis remontent des casiers pour attraper des crabes du Kamchatka et des crabes des neiges. Le prix très élevé de ces crabes explique les incroyables risques pris par les marins pour aller les chercher. Il n’est par conséquent par étonnant d’apprendre que ce métier est répertorié par le Bureau of Labor américain comme ayant le plus fort taux de mortalité de toutes les professions du pays… Garry, chez qui nous logeons, a fait deux hivers en mer de Béring et nous a rapidement dit qu’il « ne souhaitait vraiment à personne de faire ce métier » …
Les pêcheurs de crabes que nous avons rencontrés correspondaient à l’image que l’on s’en faisait : tatoués et fortes-têtes, cigarette au bec et bière à la main dès dix heures du matin … Certains quotidiens demandent plus de courage que d’autres !
Le Time Bandit en mer
Mais la découverte la plus impressionnante que nous avons faite ici, c’est celle du rythme de vie. En effet, la vie des habitants de l’Alaska est dictée par le rythme de la nature à cause de deux facteurs : les 8 mois les plus froids de l’année y sont tellement rudes que la vie animale et végétale semble s’y arrêter. Tout comme la nature s’immobilise pendant cette période, la plupart des hommes ne travaillent pas la moitié de l’année et se consacre à d’autres activités comme la chasse.
Et quand le printemps arrive et que la nature se réveille plus puissante que partout ailleurs, la vie économique reprend d’un coup et de façon très intense : tous les chantiers arrêtés par l’hiver reprennent. L’abondance des ressources naturelles et la quantité réduite de main d’œuvre font que les salaires engrangés pendant l’été suffisent largement pour toute l’année. Un matelot sur un bateau de pêche au flétan gagne, par exemple, 500 euros par jour en mer !
Cette vie saisonnière forcée tranche frontalement avec l’idée que l’on se fait de la vie dans les grandes villes tempérées que nous connaissons, où l’on va travailler de la même façon un 15 juin ou un 15 décembre.
Et nous, te demandes-tu, que faisons-nous au milieu de cette effervescence du début de Printemps ?
Notre priorité a d’abord été de trouver un logement stable pour les deux semaines à passer ici, à Homer. Pendant quelques jours, nous avons donc vagabondé dans les docks et parlé à tous ceux que nous croisions, racontant notre aventure et demandant où se trouvaient les opportunités de travail. Une fois de plus, la chance nous a vite souri.
Barbara possède avec son mari Gary l’entreprise Inlet Charters qui propose des tours en mer pour découvrir les plaisirs de la pêche en Alaska. Séduite par notre projet, elle a tout de suite proposé de nous héberger chez elle en échange de notre travail dans son jardin. Depuis mercredi, donc, nous vivons dans sa superbe maison surplombant l’océan et les montagnes. Grâce à notre expérience de maraîchers, nous travaillons chaque matin à rénover son potager, tombé en ruine après quelques années de négligence. L’après-midi, nous nous rendons en vélo sur les docks, situés à une quinzaine de kilomètres de la maison, et les arpentons, avides de n’importe quelle rencontre qui nous permettraient d’en savoir plus sur la vie locale.
Notre trajet quotidien ... mieux que le métro !
En l’absence de visa de travail, nous n’avons pu être temporairement embauchés par les entreprises chargées de traiter le poisson une fois déchargé des bateaux. Mais le destin nous a toutefois permis de combler partiellement les difficultés financières liées à la perte de notre voiture.
Lundi, alors que nous nous dirigions vers le port de pêche, nous avons été pris en stop par Kyle et Billy, propriétaires d’une entreprise de construction. Actuellement en charge de rebâtir une ancienne maison, ils nous ont vite proposé de les aider pour la journée. Nous avons donc une fois de plus adapté nos plans aux circonstances, et avons passé la journée à leurs côtés, sur le chantier, à refaire les fondations d’une maison en voie de s’écrouler !
Un peu de travail physique pour les Travelling Farmers !
Le lendemain, nous avons décidé de demander à tous les bateaux à quai s’ils avaient besoin de main d’œuvre. Malheureusement, nous avons rapidement compris que tous les équipages sont déjà formés pour la saison, et qu’il serait désormais difficile de trouver une place sur un navire. Mais nous avons eu la chance de rencontrer Steve qui, à défaut de pouvoir nous faire travailler sur son bateau, a proposé que nous venions l’aider à construire une protection contre les élans dans son jardin. Nous sommes en effet en pleine époque de mise à bas des élans, période où les mères sont les plus agressives. Pendant 9 heures, vendredi, nous nous sommes donc attelés à planter des poteaux hauts de 3 mètres (en-dessous, cela ne serait pas suffisant pour arrêter un élan).
Nous mesurons tous les jours un peu plus la beauté des paysages qui nous entourent, et c’est avec émotion que nous passons parfois de longs moments à observer les élans colossaux se balader en ville, ou des aigles survoler majestueusement le port, à la recherche d’un poisson à attraper.
Dimanche prochain, nous nous envolerons pour un nouveau pays, une nouvelle expérience, la Nouvelle-Zélande. Nous tâchons donc de profiter au maximum des instants magiques que nous vivons ici en Alaska. Et aujourd’hui, nous avons enfin eu la possibilité d’aller pêcher le flétan en mer, mais nous t’en dirons plus la semaine prochaine…
Un aperçu de la pêche au flétan ... à suivre !
A dimanche prochain