#14 - Into the Wild
Commence par prendre un atlas et cherche Whitehorse, c’est la ville d’où on écrit ce 14ème article. Petit indice, c’est dans le Yukon, la région la plus occidentale du Canada. Si tu es fainéant, tu peux juste taper Whitehorse sur Google Maps : c’est l’endroit le plus reculé où nous avons jamais été ! Cette semaine a été la plus riche en aventures depuis le début de notre périple : une semaine sans confort mais avec une liberté impressionnante, parfois effrayante.
Allez, on t'aide!
A Seattle, nous n’avons finalement pas pu travailler comme caddie. Les responsables du superbe golf de Chambers Bay, qui se préparent à recevoir l’US Open de golf dans un mois, ont finalement refusé de prendre le risque de faire travailler deux Français inexpérimentés, préférant les jeunes locaux. En revanche, nous avons aidé un des frères de Ian à faire un travail de terrassement dans le jardin de sa nouvelle maison, nous permettant ainsi de gagner un peu d’argent pour les aventures à venir. Encore une fois, nos rencontres nous emmènent autre part que là où nous pensions aller !
Bien accueillis à Seattle!
Nous prenons la route vers le nord mardi matin. Avant de partir, soucieux de rester en toute légalité, nous nous arrêtons pour faire immatriculer notre voiture dans l’état de Washington. Dans la salle d’attente, Jules fait passer le temps en racontant le projet à sa voisine, Nancy, hôtesse de l’air depuis 18 ans pour Delta Airlines. Passionnée par nos aventures, Nancy décide de nous aider, et nous donne 20 dollars avant de nous assurer qu’au moindre problème nous pouvions la contacter, où que l’on soit en Amérique du Nord. Bouche bée, nous acceptons l’aide de cette femme dont le geste restera longtemps gravé dans nos mémoires.
Nous passons ensuite la frontière sans encombre : un nouveau pays pour les Travelling Farmers ! Les paysages s’étendent de plus en plus et nous arrivons à Vancouver, dernière étape que nous avons avant la grande route. Nous posons nos sacs de couchage sur les canapés d’Arthur et Clémence, deux étudiants de notre école de commerce en échange universitaire. Nous profitons de cette nuit au chaud et de la douche le lendemain matin avant de repartir – après un plein de provisions.
Avec nos amis français de Vancouver!
Nous attaquons sans attendre notre première journée de route : les plaines sont immenses au fur et à mesure que l’on remonte vers le nord, et les premières montagnes pointent leur nez en fin d’après-midi. Nous nous arrêtons au bord d’un lac où nous avalons quelques légumes et une boite de conserve de saumon avant de nous glisser dans nos sacs de couchages (2 par personne !) et de passer la nuit dans la voiture.
Nous sommes émus de nous réveiller dans un tel endroit : seuls, au milieu de l’immensité froide du Canada. Un aigle à tête blanche, l’emblème des Etats-Unis survole le lac, un pêcheur à la mouche s’active en silence. La scène est magnifique.
En regardant la carte, nous réalisons que nous sommes encore dans une zone relativement civilisée, et qu’il nous reste une énorme route à parcourir.
Nous reprenons la route et roulons toute la journée, à travers les vallées dominées par des montagnes enneigées. Nous apercevons des caribous et même deux ours bruns au bord de la route : à peine réveillés de leur hibernation, ils peuvent être dangereux car affamés et nous ne nous arrêtons pas. Plus nous traçons notre route plus nous nous enfonçons dans des paysages magnifiques : les lacs sont gelés, les bords de la route sont enneigés, et la civilisation se fait discrète. Notre nouveau jeu consiste à compter le temps entre deux voitures que nous croisons. Alors que nous fonçons à 140 km/h (faisant trembler notre vieille voiture), on ne voit parfois que quatre autres véhicules par heure ! Les kilomètres défilent et rien ne bouge.
Nous nous arrêtons à nouveau au bord d’un lac et mangeons un morceau avant de nous réinstaller dans notre maison sur roues. Nous remarquons que les jours se font plus long au fur et à mesure que l’on remonte vers le nord : la nuit tombe maintenant à 22h et même à trois heures du matin la nuit est très claire. : nous nous rapprochons du pôle.
Nous avons roulé non-stop pendant deux jours et il nous en reste au moins quatre pour atteindre Anchorage en Alaska : la notion d’espace est différente ici qu’ailleurs, et - c’est un sentiment étrange - le temps semble ralentir avec l’immensité. La nature semble figée : même l’eau, gelée, ne coule plus. Cette immensité vierge de toute trace humaine est magnifique, mais on se rend compte qu’elle peut rapidement devenir effrayante.
Nous repartons pour notre troisième jour de route quand le moteur commence à faire des bruits suspects. Nous avons pourtant encore beaucoup d’essence… La voiture finit par s’arrêter au milieu d’une ligne droite qui nous semble infinie et en regardant la carte nous réalisons que le garage le plus proche est à trois cent kilomètres! Nous arrêtons les voitures qui passent et un mécanicien nous fait un diagnostic assez clair : notre moteur est flingué et vu l’âge de la voiture le réparer n’aurait pas de sens.
Après quelques minutes de réflexion, et face à cette situation imprévue, nous décidons d’abandonner la voiture ici, et de reprendre la route vers le nord coute que coute avec Jeremy, qui s’est arrêté pour nous aider et qui propose de monter dans sa voiture : il compte faire mille kilomètres dans la journée. Nous prenons l’indispensable et laissons l’accessoire dans la voiture, nous dévissons nos plaques d’immatriculation et nous repartons vers le nord avec Jeremy.
Ne pouvant rester là, nous décidons de prendre cette option. Ce n’est pas idéal, mais nous ne voulons pas prendre le risque de passer une nuit dans une voiture qui ne démarre pas, et ,Whitehorse, la ville où Jeremy nous déposera est assez grosse pour qu’on y trouve un hébergement.
Les dix heures que l’on passe avec Jeremy sont l’occasion de discuter avec lui du Canada, et des territoires du nord : immensités désertiques qui se remplissent l’été grâce à la pêche, la chasse, l’extraction minière et qui se vident l’hiver à cause des -50 degrés qui y figent toute vie.
Un peu serrés, mais on avance! Merci Jeremy
Alors que nous rentrons dans le Yukon, région la plus à l’ouest du Canada, les paysages sont à couper le souffle : immenses montagnes enneigés, lacs gelés à perte de vue, forêt de sapins… Ce décor est parfois presque effrayant tant on se dit que l’on ne résisterait pas une nuit dans un environnement si désolé et sauvage. Seulement trente mille habitants peuplent difficilement ce territoire presque aussi grand que la France.
La route, toujours
Nous arrivons à onze heures du soir – mais il fait encore jour - à Whitehorse où nous prenons un lit dans une auberge de backpackers. Nous n’aimons pas payer pour dormir, mais nous sommes épuisés, il fait vraiment froid dehors et nous devons nous reposer pour envisager la suite de notre aventure sans voiture. En effet, il nous reste plus de mille kilomètres jusqu’à notre point d’arrivée et on ne se voit pas courir un marathon par jour pendant un mois.
Alors que, malgré les circonstances défavorables, nous avions gardé le sourire toute la journée, le moral retombe un peu une fois dans l’auberge de jeunesse. Chacun de notre côté, nous sommes envahis par une montée d’anxiété, certainement corrélée à la fatigue. Il est facile de se décrire comme des aventuriers quand un confort de base est assuré. Il nous était aisé de nous revendiquer de Dean Moriarty (On the Road) et Alexander Supertramp (Into the Wild) alors que nous avions une voiture pour dormir et nous déplacer. Mais maintenant que nous n’avons plus rien, que fait-on ? Où allons-nous dormir demain, comment allons-nous nous rendre en Alaska ?
Une aventure plus difficile nous attend, nous le savons. Mais le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil, nous nous sentons prêts. Comme nous l’avons fait depuis trois mois, nous allons compter sur notre bonne humeur et notre énergie pour nous aider à faire de belles rencontres et nous permettre de vivre l’Alaska comme nous en avions rêvé.
Nous commençons par visiter Whitehorse, ancienne capitale de la ruée vers l’or qui a inspiré Jack London. L’atmosphère y est étrange : on se sent que cette petite communauté isolé du reste du monde la majorité de l'année est habitée par de véritables pionniers. Les statues dans les rues montrent des chercheurs d’or avec leurs chiens et sont dédiés « à tout ceux qui poursuivent leurs rêves ». Imaginer l’immensité désertique qui encercle cette petite ville donne le tournis et cela fait du bien de voir des visages et des boutiques dans les rues.
Alors que l’on s’apprête à commander de quoi manger dans un café une femme nous aborde en français. Après avoir vécu en région parisienne, Danièle habite au Canada depuis 23 ans, et depuis douze ans à Whitehorse. Nous lui racontons nos aventures et elle accepte de nous héberger pour la nuit ! Encore une fois la providence nous sourit au moment où nous en avons le plus besoin, et même si les choses ne se déroulent pas comme on l’envisageait, l’aventure nous porte où nous devons aller.
Passe une bonne semaine, et à dimanche prochain !