#12 - A la verte
Les Travelling Farmers dans leur élément
Après un long trajet depuis Phoenix, cela fait dix jours que nous travaillons dans la ferme de Kim et Darryl près de Portland, et cela nous a fait un bien fou ! Nous apprenons tous les jours de nos hôtes qui partagent avec nous leur expérience de fermiers aguerris.
La semaine a d’abord été marquée par la naissance d’une vingtaine d’agneaux. Quel bonheur de découvrir, chaque matin en allant s’occuper des animaux, deux ou quatre agneaux de plus que la veille ! Les moutons mettent en effet bas le plus souvent la nuit, et il faut s’empresser de marquer les nouveau-nés car ils ont vite fait de tous se ressembler.
C'est pas mignon?
Dans les quarante-huit heures suivant leur naissance, Kim et Darryl nous ont appris les premiers gestes à effectuer sur les agneaux. Après nous avoir fait une démonstration, nous les avons relayés et avons appris à couper le cordon ombilical et la queue afin d’éviter les infections, à identifier les agneaux à l’aide de grosses boucles d’oreilles en plastique de couleur, et à castrer les agneaux mâles.
Les Travelling Farmers en plein apprentissage
A l’aide d’une paire de ciseaux, il s’agit d’abord de couper assez court le cordon ombilical des agneaux afin que la cicatrisation se fasse bien.
Ensuite, il faut appliquer à chaque agneau une boucle d’identification à l’aide d’une grosse pince - cela afin d’assurer une bonne traçabilité de la viande. C’est un mot que l’on avait déjà entendu mais que l’on comprend mieux : si un des lots de viande est défectueux, Kim et Darryl sauront de quelle bête il provient et excluront donc sa mère du troupeau de moutons reproducteurs. Et ils peuvent aussi relier le poids à l’abattage de chaque agneau à sa mère, afin d’identifier les mères qui leurs fournissent les agneaux les plus gros, et donc le plus de viande.
Ensuite, à l’aide d’un élastique résistant et très serré, on réduit la taille de la queue des animaux, afin d’éviter tout problème d’hygiène.
Enfin (et c’est le geste que nous avons eu le plus de mal à apprendre), il s’agit de castrer les mâles, afin que l’ensemble des agneaux puissent cohabiter paisiblement jusqu’à 18 mois.
Bref, cette période de naissances n’est pas de tout repos et nous sommes heureux de connaître mieux les coulisses de la production de la viande que nous consommons tous les jours. Lors de notre prochaine côtelette d’agneau au barbecue, nous aurons une idée plus précise de ce que nous mangeons!
Elever des animaux, nous le découvrons tous les jours, est indissociable d’une routine précise. En effet, chaque matin et chaque soir, 365 jours par an, il faut nourrir les animaux, vérifier qu’ils ont de l’eau et de la paille, et qu’ils sont en bonne santé. Si les agriculteurs travaillent souvent beaucoup, l’astreinte est encore plus vraie pour les éleveurs : les animaux ne s’arrêtent pas de manger les dimanche ou les jours fériés. C’est donc méthodiquement qu’à 7h45 et à 19h30 nous inspectons et nourrissons avec Kim et Darryl les dindes, canards, poules et moutons.
C’est là un des aspects de la vie de fermier que notre voyage ne peut qu’entrevoir. Il est facile pour nous de partager ce quotidien pendant deux semaines ou un mois, et de n’en voir que les aspects positifs : la vie en plein air, le travail concret au contact de la nature et des animaux, et le sentiment de servir à quelque chose d’essentiel en cherchant à nourrir les hommes. Mais il faut 6 mois, 1 an ou même plus pour comprendre ce que cela implique réellement, être fermier. Quoique respirant le bien-être, Daryll semble ressentir occasionnellement une certaine nostalgie fasse à cette routine qui jamais ne prend fin. Être fermier, c’est aussi accepter de voir ses journées se ressembler indéfiniment, et pourtant mettre du cœur dans des activités parfois monotones et répétitives. En cela Daryll nous impressionne plus que n’importe qui depuis le début de ce voyage : malgré les moments de doute, c’est le sourire au lèvre qu’il sort tous les matins dans son jardin, et s’attelle paisiblement à ses tâches quotidiennes.
Pendant la journée, notre travail a consisté à réparer des clôtures pour les moutons, à nettoyer les étables, mais aussi à s’occuper de la serre et du jardin potager. Grâce à notre expérience en Uruguay, nous avons planté des légumes : céleris, artichauts, et tomates, et des fleurs (calendulas).
Concentré sur son objectif, Jules plante des artichauts
Les Travelling Farmers séparent des pieds de tomates
Darryl nous a beaucoup parlé de l’écosystème de petites fermes qui existe ici. Dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres, beaucoup de familles élèvent des animaux ou cultivent des fruits et légumes afin de consommer le plus possible local. Nous sommes par exemple allés avec Darryl chercher le lait pour la semaine dans une autre petite ferme à cinq kilomètres de chez eux. Le principe est simple : on envoie par mail la quantité de lait que l’on veut puis on passe quand on veut, la ferme est ouverte et il suffit de prendre dans un grand frigo le lait marqué à son nom, le paiement se faisant à la fin de chaque mois. Ce système autogéré et libre de toute surveillance nous a beaucoup impressionné ! Et avec seulement deux vaches, une vingtaine de familles est alimentée en lait sans passer par aucun intermédiaire.
Kim et Darryl, en vendant de la viande d’agneau localement s’inscrivent dans cette ambiance communautaire que nous n’avons vue nulle part ailleurs jusqu’ici ! Hier a eu lieu la Lamb Fest annuelle à la ferme où nous sommes: afin de vendre leurs agneaux et leurs poulets, Kim et Darryl invitent tous leurs amis pour une journée chez eux. Une super occasion pour nous de discuter avec d’autres fermiers de la région.
Beaucoup des personnes que nous avons ainsi rencontrées nous ont tenu un discours similaire. Après une trentaine d’années dans une vie professionnelle classique, un sentiment d’absurdité les a envahies et les a poussées à se retirer dans un état réputé calme et reposant, l’Oregon. Ici, tous nous ont dit se sentir plus sereins, plus épanouis. Lucides, ils nous ont expliqué avoir pendant longtemps cherché à accroître leur confort, économisant pour pouvoir s’offrir une voiture plus volumineuse ou une lave vaisselle plus performant, avant de se rendre compte que là n’était pas ce qui les rendait heureux.
Il est très intéressant pour nous d’entendre ces divers témoignages. Ces personnes ont vécu et semblent à chaque fois nous mettre en garde contre des erreurs d’appréciation de la vie qui se font dès la jeunesse et sont par la suite difficiles à corriger. Alors que nous approchons peu à peu du début de notre vie professionnelle, nous apprenons par ce voyage et ces rencontres à questionner certaines idées qui en France semblaient s’imposer à nous, afin de discerner celles qui nous correspondent véritablement.
Bref, nous avons le sentiment d’avoir vécu cette semaine la vie que nous recherchions en partant pour ce voyage: travailler en plein air dans une ferme, et une fois la journée de travail achevée, profiter de la nature. Tristan a même passé ses fins d’après-midi à pêcher des petites truites dans la rivière qui coule en contrebas de la ferme, et a connu de retentissants succès.
Dimanche prochain, nous serons à Seattle pour quelques jours, première étape d’un long trajet en voiture jusqu’à l’Alaska.
Nous vous souhaitons une très belle semaine
A dimanche prochain !
Photo bonus :
Un des amis avec qui nous partageons le jardin potager!