#10 - On the Road
« Avec l’arrivée de Neal a commencé cette partie de ma vie qu’on pourrait appeler ma vie sur la route »
C’est avec les premiers mots d’On The Road de Kerouac que nous entamons notre étape américaine. Deux semaines de route avant d’arriver à notre prochaine étape fermière dans l’Oregon, près de Portland.
Après un atterrissage à Phoenix, nous retrouvons Victoria, une amie qui nous rejoint pour une semaine de voyage dans l’Ouest américain. Nous récupérons notre voiture de location et fuyons la ville direction l’est alors qu’il fait déjà nuit. Avec une succession de petits coups de chance, nous arrivons rapidement à bon port et plantons la tente près du lac Roosevelt. Au réveil, alors que nous découvrons les environs, nous rencontrons un vieil homme qui s’affaire dans les environs. Du haut de ses 82 ans, Bill Pope vient tous les jours nettoyer le parc naturel des détritus laissés par les touristes. A notre âge, il était depuis trois ans déjà en Corée du Sud où l’armée l’avait mobilisé. Après une carrière dans la Navy et les marines, il avait pris une retraite (active) et regardait grandir paisiblement sa trentaine d’arrière petits-enfants. Première rencontre américaine qui nous a marqué pour le calme profond s’émanant d’un homme ayant bien vécu, et par cette tendance touchante qu’ont certains américains de livrer leur life story.
Nous passons deux jours près de ce lac immense où nous alternons entre baignade, séances de pêche et lecture sous le soleil déjà fort d’un début de Printemps en Arizona. Nous apprécions l’immensité des paysages et surtout la tranquillité du lieu : personne ne nous bouscule, personne ne nous interpelle.
En réalisant que nos repas se composent presque exclusivement de fruits et de légumes que nous accompagnons parfois d’un morceau de viande, nous réalisons peu à peu l’influence de l’enseignement que nous ont donné Fred et Uta en Uruguay. Même si manger de la viande nous fait toujours autant rêver, rien ne nous fait plus plaisir que de croquer dans une tomate juteuse ou dans un poivron fondant.
Un matin, une ornithologue de passage nous donne un petit cours sur les oiseaux que l’on peut observer ici. Elle nous montre avec ses jumelles un pigarque à tête blanche - cet aigle qui symbolise les Etats-Unis - assis sur sa branche comme sur un trône.
Désirant garder ce calme des grands espaces, nous faisons une belle journée de route et sortons des routes goudronnées pour planter notre tente au milieu du désert de Kofa, entre des cactus géants et au pied de montagnes rouges et crénelées. Un lièvre détale sous nos pieds alors que nous creusons un foyer pour le feu qui nous permettra encore ce soir de faire cuire notre dîner. La lumière du soir nous donne vraiment le sentiment d’être au milieu d’un spectacle qui se joue depuis des milliers d’années ici.
Le temps ne s’arrêtant malheureusement pas comme nous l’espérions, nous devons mettre le cap à l’est, vers San Diego, que nous évitons autant que possible. La route que nous prenons est époustouflante. Elle commence par longer la frontière mexicaine – et nous apercevons le « mur » empêchant l’immigration clandestine qui se dresse dans le désert. Nous rentrons ensuite brutalement dans un désert de dunes, qui nous rappelle le Sahara, où nous ne sommes pourtant jamais allés. La route se met ensuite à monter dans des montagnes rocheuses où ne pousse aucune végétation. Cette vision lunaire nous rappelle plus un clip des Pink Floyd que les traditionnels clichés sur la Californie.
Avant d’atteindre la côte pacifique, nous nous arrêtons une dernière fois pour découvrir une partie de la Californie qui nous est moins connue : ses montagnes. Nous plantons notre tente au bord du lac Cuyamaca, à 1500 mètres d’altitude, dans un coin de paradis que rien ne semble pouvoir perturber. La nuit est froide mais le réveil est magique : d’un désert aride d’Arizona nous sommes passés en 24 heures à cet endroit paisible digne des plus beaux paysages suisses.
Il nous faut toutefois partir, et c’est avec bonheur que nous apercevons enfin l’Océan Pacifique.
Nous plantons notre tente dans un camping le long de la côte. Les plages immenses sont acculées aux falaises, et c’est pour Tristan l’occasion de se baigner pour la première fois dans le Pacifique, en compagnie d’un phoque qui joue dans les vagues à une petite dizaine de mètres. Encore une fois, la paisibilité du lieu nous touche, et avoir trois cents mètres de distance avec son voisin de plage est un luxe que nous sous estimons ! Même pour deux amoureux du Sud-Ouest, il faut reconnaître que les vagues du Pacifique sont vraiment belles.
Tristan n'oublie pas ses racines
Nos soirées se ressemblent : grand feu sur lequel nous faisons griller de la viande, des épis de maïs, des oignons, des poivrons, des aubergines et des courgettes. Sans le confort d’une maison, nous avons moins de divertissements et donc plus de temps, que nous passons autour du feu, à discuter de notre journée ou à débattre de la cuisson idéale des oignons sur le feu.
La voiture devant être rendue à Los Angeles, nous remontons encore vers le nord où nous sommes englués dans les bouchons à chaque fois que nous traversons un lieu touristique. Les plages de Santa Monica et de Malibu sont prises d’assaut et nous décidons de continuer vers le Nord où nous posons nos affaires dans une crique plus isolée. Les embouteillages de voiture et les flots de gens venus parfois du bout du monde pour prendre une photo dans un lieu qu’ils connaissent déjà par les films et les clips qu’ils ont vus nous renforcent dans notre idée d’éviter les lieux touristiques durant notre périple. On se sent mieux sans agitation. Les campings étant pleins, nous décidons de dormir dans notre voiture, encore salés de notre bain d’Océan. Nous trouvons un spot en bord de route pour garer notre voiture, entre les villas des millionnaires du nord de Los Angeles, et nous mangeons un Fish and Chips consolateur avant de passer une nuit plus qu’agréable dans notre fidèle Toyota Corolla. Nous raccompagnons finalement Victoria à son avion avant de rendre la voiture.
La vue sur Malibu depuis notre campement: mieux qu'un hotel cinq étoiles !
Alors que s’achève cette incroyable semaine de voiture, nous sommes partagés. Certes, l’autonomie que procure une voiture nous a permis de visiter des coins magnifiques vraiment perdus. Mais cela nous a aussi isolé en nous autonomisant. Comment prétendre visiter en réalité un pays en le sillonnant en voiture ? Le confort nous a rendu indépendant et l’indépendance nous a relativement isolé des américains que nous voulions rencontrer. C’est donc le sourire aux lèvres que nous attaquons une deuxième semaine de trajet qui s’annonce plus improvisée.
Edouard, un camarade de notre école de commerce nous a proposé de dormir chez lui le premier soir, avant de reprendre la route vers le nord. C’est l’occasion pour nous de nous rendre compte que les Français aussi savent faire preuve d’une grande générosité. Pour nous faire honneur, Edouard a organisé un diner avec ses amis de Los Angeles, avec qui nous partageons un moment très agréable. Nous avions perdu l’habitude d’interagir avec des jeunes français nous ressemblant, mais le tact et l’intelligence d’Edouard rendent ce retour à la vie sociale facile et passionnant.
Nous pensons le quitter le lendemain, en partant sur la route pour San Francisco. Mais le stop aux Etats-Unis n’est pas aussi aisé que nous l’imaginions. Pendant plusieurs heures, nous restons pouce en l’air, à observer l’indifférence d’Américains pourtant souvent seuls dans leur voiture. Nous avançons de quelques kilomètres grâce à Roma, une ancienne habituée du stop en Europe fort sympathique, mais cela ne suffit pas. Son apparence est trompeuse : derrière ses tatouages et son style un peu trash, elle poursuit un doctorat de philosophie et nous parle de phénoménologie et d’Husserl tout en conduisant ! Finalement, c’est la police, certainement alertée par des locaux, qui vient nous signaler qu’il nous est interdit de faire de l’autostop là où nous sommes.
L’expérience est décevante mais enrichissante. Nous comprenons mieux la situation en discutant avec notre voisin de table du McDonald’s où nous venions chercher du Wifi. Celui-ci nous explique avoir énormément voyagé dans sa jeunesse. Dans les années 70, nous dit-il, il était très facile de traverser le pays en stop. Aujourd’hui, les gens ont peur, et craignent toute intrusion dans leur vie privée. Pour nous consoler, et parce que nous lui rappelons son enfance, cet homme nous invite à déjeuner en disant aux serveurs une phrase assez sympa à entendre « Give to these guys what they want ».
Nous passons donc une nuit de plus chez Edouard, toujours aussi accueillant, et nous rendons le lendemain en bus pour San Francisco. Le trajet est superbe, le long des plantations californiennes.
Quelquepart entre Los Angeles et San Francisco
Nous avons prévu de passer trois jours à San Francisco avant de reprendre le stop, en direction de notre prochaine ferme à Portland.
Notre passage à San Francisco nous laissera un souvenir très fort. Hébergés là encore par un camarade de notre école, Antoine, nous découvrons un état d’esprit qu’il nous aurait été difficile d’imaginer. Les jeunes que nous rencontrons partagent en effet tous une idée : la technologie va sauver le monde de tous ses problèmes. A force d’innovations technologiques, il semble que la maladie et la pauvreté puissent être éradiquées, ou du moins atténuées.
Nous arborons au premier abord un regard critique sur cet état d’esprit qui nous semble utopique, surtout à la vue du nombre de mendiants dans les rues de San Francisco. Ces innovations n’accroissent-elles pas avant tout l’écart entre riches et pauvres ? Et en quoi les Oculus Rifts et l’IPhone 7 vont-ils rendre la population plus heureuse ? Mais il est difficile de ne pas se laisser séduire par la beauté de l’idéal que suivent ces jeunes avec une énergie convaincue.
Un Frenchy à Frisco
Quoi qu’il en soit, San Francisco nous apparaît comme un monde au sein des Etats-Unis, très différent et bien plus attirant de ce que nous avons pu ressentir à Los Angeles.
Il nous faut toutefois retourner sur la route au plus vite. Non pas que nous soyons pressés, nous ne sommes attendus dans la ferme que le 8 avril. Mais la vie dans ces grandes villes nous rappelle trop fortement notre style de vie parisien, dont nous cherchons à nous éloigner.
On the road again
C’est donc le sourire aux lèvres que nous avons, samedi, traversé le Golden Gate avec nos affaires sur le dos, pour avancer vers le Nord. Là encore, nous avons rencontré des difficultés : le stop n’est vraiment pas ce qu’il y a de plus naturel ici. Mais, après 6 heures sans le moindre succès, notre persévérance a payé. Alan-Joseph, seul dans son Van a accepté de nous emmener un peu au Nord. Depuis 10 ans, il poursuit un chemin qu’il ne cherche pas à contrôler : il se laisse guider par ses rencontres, et a ainsi vécu et travaillé en Alaska, au Mexique, en Irlande, en Nouvelle Zélande, et travaille désormais (depuis 2 jours) dans une auberge près de San Francisco. Il propose de nous emmener prendre une bière dans une petite brasserie, et là encore la chance nous sourit. Alors que nous pensions poser notre tente au bord de la route, un jeune américain, intéressé par ce que nous racontions à Alan-Joseph, propose de nous héberger pour la nuit. C’est de là que nous vous écrivons, avant de reprendre la route dans quelques heures.
Dimanche prochain, si nous sommes arrivés à destination, nous vous écrirons depuis notre ferme à Portland, où nous reprendrons enfin notre activité agricole.
D’ici là nous vous souhaitons une bonne semaine,
A dimanche prochain !